NAVIGATION SUR LA LOZA
Entre Analalava et Antsohihy.
La Loza est un bras de mer dans le nord-ouest de Madagascar qui, soumis à de forte marée, serpente au milieu d’une immense mangrove. La Loza permet de joindre, en fonction des marées montantes et descendantes, la ville d’Antsohihy, petite bourgade enclavée dans les terres, à Analalava, ville côtière qui se trouve en face de l’île Nosy Lava (sur laquelle se trouvent les ruines d’un bagne). La profondeur des eaux, de moins de 5m à plus de 80m, les tourbillons ainsi qu’une couleur cuivrée et opaque font de la navigation sur la Loza une opération délicate. Entourées de collines rouges et de forêts d’où s’échappe le chant des oiseaux invisibles, les abords de la rivière sont aussi réputés pour la gentillesse des habitants. Une région au charme incomparable qui mérite d’être explorée.
Rejoindre la Loza

C’est sur un voilier que nous décidons de remonter La Loza d’Analalava jusqu’à Antsohihy. Et c’est de Nosy Be que nous partons car c’est le lieu de mouillage de Vingila. Ce bateau est pour moi une vieille connaissance: Vingila est un ketch de 15 m plutôt spacieux qui propose des croisière à la carte, son capitaine est un ami de longue date et ce n’est pas la première fois que nous partageons une aventure. Le reste de l’équipage est composé du second, lui aussi un ami, et le cuisinier qui nous préparera d'excellents repas.
Une fois montés à bord, nous remplissons les cuves de carburant car il y a peu de chance que nous puissions naviguer uniquement sous voiles. Le marché nous permet de faire le plein de légumes, de pois, de riz, etc. Nous comptons sur la pêche en mer, pendant le trajet qu’il nous faut parcourir jusqu’à l’embouchure de La Loza, pour compléter le riz de poissons frais. Une fois les bidons d’eau remplis, nous sommes parés pour l’aventure.
Après 4 jours de navigation pour parcourir la centaine de milles qui nous séparent d’Analalava, nous trouvons un mouillage à l’abri des courants. Nous ne sommes plus en mer : les moustiques viennent nous rendre visite durant la nuit.
Mouillage à Analalava

Après ces 6 jours de mer, nous débarquons en fin de matinée pour nous dégourdir les jambes : il nous faudra 40 minutes pour rejoindre Analalava. Le centre ville est en fait une longue avenue bordée de commerces et de grandes maisons de type créole, en mauvais état, souvenirs de l’époque coloniale. La rue est quasi déserte : il fait chaud et les habitant restent dans les lieux ombragés. Nous entrons dans une gargote où nous nous régalons d’un poulet en sauce. Pour la digestion, rien ne vaut une bonne bière fraîche à l’ombre d’une terrasse de café. Sur le chemin du retour, nous croisons deux zébus passablement énervés qui n’ont pas apprécié la balade qu’on leur a fait faire en pirogue pour traverser la rivière. Une fois sur le bateau, nous nous préparons pour le départ à l’aube le lendemain matin, pour profiter au mieux de la marée montante. Elle nous poussera en avant et nous permettra de bénéficier d’une profondeur suffisante pour ne pas s’échouer. Nous jetons un œil à la carte afin de décider de la route à suivre pour éviter les bancs de sable qui sont la principale difficulté de ce type de navigation. On espère qu’ils n’auront pas trop bougé car les relevés de la carte datent de 1830 !
Direction Antsohihy

6h du matin, on lève l’ancre. La profondeur augmente au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la première partie de la Loza avant de rejoindre une pointe qui nous fera faire presque demi tour afin d’accéder à la partie la plus large de la rivière. Nous en profitons pour boire le café que nous n’avions pas eu le temps de préparer à l’aube, pour ne pas rater la marée montante. Nous avançons tranquillement, entouré de belles collines rouges réchauffées par la lumière matinale. Une petite brise nous autorise à monter les voiles, qui soulagent le moteur.
L’ambiance paisible ne nous fait pas oublier de jeter régulièrement un œil sur le sondeur pour vérifier la profondeur. Ces précautions ne nous éviteront pas un échouage en milieu de matinée... satané banc de sable invisible ! Nous sommes à Madagascar, et la meilleure chose à faire après avoir tout essayé pour sortir de cette situation embêtante est de ne pas s’énerver et d’accepter la mésaventure. Nous préparons un second sondeur pour pouvoir, depuis l’annexe, trouver le meilleur passage pour le bateau. En attendant, nous nous régalons de crêpes et de bonbons coco.

Vers 10h30, la brise a fini par nous sortir du banc et nous croisons des pêcheurs du coin qui nous montre le chemin à prendre. A 12h45 le sondeur nous alerte : 5 m.
Nous ralentissons et utilisons l’annexe et le second sondeur pour trouver le passage le plus profond. Nous arrivons à sortir de la partie la plus large pour entrée dans un passage plus étroit mais avec des fonds plus impressionnants : parfois plus de 80m.
Les collines ont disparu, la mangrove est omniprésente et nous dépassons un ensemble de cases devant lesquelles se trouvent des pirogues, évidement, mais aussi un boutre qu’on croise d’habitude plutôt en pleine mer. Les habitants plus ou moins cachés nous observent. Ils ne doivent pas avoir l’habitude de regarder passer un voilier de 15 m sous voiles.

Vers 17h, un gros grain s’apprête à nous rejoindre par l’arrière et la nuit ne va pas tarder à tomber. Il y a une profondeur suffisante et le canal est assez large : nous décidons de jeter l’ancre. Ensuite, ce sera tous aux abris... Nous profiterons de la pluie pour refaire le plein d’eau.
Le lendemain matin, nous partons vers 7h30. La navigation se passe sans encombre et de façon monotone. Il y a du fond et nous déroulons la mangrove tranquillement.
Vers 9h, on est interpellé par la première pirogue que nous croisons. Nous allons récupérer un passager. Une belle chemise Quicksilver, une casquette, un short, un sac, des épis de maïs et un parapluie -c’est la saison des pluies- notre passager s’est fait beau pour aller en ville. Nous continuons notre route. Il y a de plus en plus de pirogues et nous constatons que les gens connaissent bien les fonds et les courants, ce qui leur permet d’amarrer deux pirogues ensemble pour pouvoir charger plus de marchandises et avancer malgré tout sans trop d’efforts.
A 11h, nous apercevons une antenne qui nous fait dire que nous sommes presque arrivé à Antsohihy. De nouveau, nous utilisons l’annexe et le second sondeur pour être sûrs de pouvoir nous approcher le plus possible de la ville.
Antsohihy

Une vingtaine de minutes plus tard, à notre grande surprise, nous nous retrouvons face à un immense quai et à un grand entrepôt. Derrière eux, c’est Antshohihy. Nous jetons l’ancre et nous débarquons notre passager qui nous offre les épis de maïs en remerciement. Nous amarrons solidement le bateau par l’arrière en prévision des forts courants et, une fois le mouillage sécurisé, nous mangeons et en profitons pour faire une petite sieste réparatrice avant d’aller explorer la ville. Le mouillage près du quai est très fréquenté : d’abord, des pirogues traditionnelles qui transportent les gens qui vont en ville ou s’enfoncent dans la mangrove pour rentrer chez eux et des pirogues «catamaran» chargées de bois ou de sacs de charbon à livrer. Le quai semble être un lieu de rendez-vous fréquenté, selon les heures, par la jeunesse du coin qui cherche un endroit tranquille pour les discussions entre camarades, par les amoureux qui trouvent la possibilité de s’isoler un peu, les curieux qui viennent voir les bateaux ou tout simplement flâner un moment. Il y a aussi, en fin d’après-midi, des joueurs de pétanque !
La soirée est celle de nombreux marins dans le monde : après une navigation plus ou moins longue et éprouvante, on débarque pour se rassasier de nourriture, d’alcool, et de Terre.
Le mouillage

Le coin est agréable. Relativement calme même s’il n’est pas rare d’entendre jusque tard dans la nuit des pirogues passer ou des jeunes gens se baigner ou se laver tout en s’amusant et riant. Bien évidement, lorsqu’on n’est pas en pleine mer et que l’on est entouré de mangrove, il faut se protéger des moustiques pour passer une bonne nuit. Les courants sont assez forts, heureusement, l’ancre tiens bien dans ce fond vaseux et l’amarre arrière n’est pas de trop. Le centre ville est rapidement accessible ce qui nous permet de refaire le plein de nourriture et de nous régaler de viande et de légumes frais. Les produits locaux n’ont peut être pas de label mais il sont bio et leur goût enchante nos papilles gourmandes.
Nous mettons à profit le temps libre en préparant le bateau pour le retour et en effectuant de menus travaux de bricolage, la lessive, etc.
Le seul bateau moteur qui passe tous les jours effectue la navette entre Antsohihy et Analalava, en 5h environ. Il est toujours chargé à ras bord...
Retour à Analalava
Le lendemain matin, c’est le départ. Nous allons une dernière fois en ville pour acheter ce qu’il nous manque ainsi que 4 sacs de riz de 60 kg chacun : il est très bon et bien moins cher qu’à Nosy Be.
5h : réveil. C’est l’heure du départ, il nous faut profiter du courant et de la marée. On avance rapidement : plus de 7 nœuds...

Nous suivons la même route qu’à l’aller avant d’arriver dans le grand lac au cœur de la rivière et tout se passe bien.
Vers 9h, nous entrons dans la zone critique où se trouvent les bancs de sable invisibles. Nous avons repéré les endroits peu profonds et nous cherchons le meilleur passage pour le bateau mais finissons tout de même par effleurer le fond. Nous préparons une fois encore l’annexe et le second sondeur pour trouver les zones les plus profondes.
Malgré cela, nous nous échouons car le courant nous pousse fort et nous n’arrivons pas à éviter un énième banc de sable. La marée étant basse, nous ne pourrons pas sortir : il faudra prendre notre mal en patience en attendant la marée haute. Cela nous laisse quelques heures pour manger, faire la sieste, jouer aux cartes, etc.
Vers 11h, le courant s’inverse et la marée remonte. Le bateau bascule d’un bord sur l’autre. Vers midi, le bateau flotte enfin mais il n’y a pas encore assez de fond pour repartir. On partira avant l’étale pour utiliser la puissance du courant afin de sortir de cette zone pleine de pièges.
16h45, c’est le départ, la vitesse est de 4 nœuds. Le soleil se couche lentement après 18h et nous mettons la voile d’avant une fois que nous retrouvons de bonnes profondeurs. Le courant et la voile nous permettent d’atteindre une vitesse de 7 à 8 nœuds : le bateau de croisière se transforme en voilier de course !

Vers 19h, nous nous approchons de la pointe et de la dernière partie de la Loza.
La forme en pointe de cette zone crée un fort courant dans lequel se forme de terribles tourbillons. Heureusement, c’est la pleine lune et la visibilité est bonne, on négocie le passage à une vitesse de plus de 10 nœuds...
Un quart d’heure plus tard nous arrivons à grande vitesse à l’endroit où nous voulions passer la nuit. Allons-nous pouvoir nous arrêter ? Nous sortons finalement du courant pour rejoindre le mouillage.
Retour en mer
Le lendemain matin, nous profitons encore une fois du courant pour rejoindre la mer afin de retourner à Nosy Be. Il nous avait fallu 2h pour entrer dans l’embouchure de la Loza, nous sortons en seulement 10mn. Le retour se passe sans encombre. Nous profitons de la pleine lune pour naviguer de nuit afin de parcourir plus rapidement la distance qui nous sépare de Nosy Be.
Nous pêchons de nombreux poissons : carangues, tazars, bonites...
Nous croisons régulièrement des pêcheurs de dinga-dinga (concombre de mer) : c’est la saison. Les boutres et les goélettes, eux, transportent inlassablement des marchandises le long des côtes de la grande île.
Nous finissons par rejoindre Nosy Be. Retrouvailles avec leurs familles et amis pour mes compagnons de voyage, avec l’aéroport pour moi-même. Un avion me ramène finalement à la routine quotidienne, la tête pleine de beaux souvenirs.
Cette aventure avec mes amis de Nosy Be à bord du Vingila, restera un moment inoubliable.
photos: Michel BORDIEU - Tout droit réservé